Accompagner son chien jusqu’au bout de sa route
- isabelle dion
- il y a 10 minutes
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Ça n’a pas de maudit bon sens! Cette phrase fait écho dans ma tête et dans mon cœur depuis maintenant trois semaines. J’aurais aimé me déposer avant sur ce que j’expérimente, mais ça passe encore difficilement.
Westley, mon beau blond, Golden Retriever, mâle castré de 2 ans 11 mois. Tout beau, tout gentil… et en santé, sauf ses petites allergies saisonnières et alimentaires contrôlées. Un méchant bon chien de famille.
Comme plusieurs chiens, il dort ou recherche des câlins 90% de son temps. Pour le 10% restant, il s’enfuit dans les sous-bois, il vole des linges à vaisselle pour s’en faire un oreiller, ou il jappe pour nous faire comprendre quelque chose.
Il y a moins d’un mois, j’ai décelé une boiterie plus que légère à son membre thoracique gauche. Rien d’alarmant. Cela arrive de temps en temps, quand il a des excès d’énergie à l’extérieur. Je l’examine à la maison, mais je ne trouve rien de bien précis. Alors repos pour quelques jours, et je verrai ensuite.
Deux jours plus tard, mes yeux et mes mains ont trouvé.
C’est à ce moment que tout a basculé…
La certitude silencieuse
Il y a des moments où le corps sait avant la tête… et surtout, avant le cœur. La journée où j’ai senti la déformation de son épaule, quelque chose en moi s’est figé.
Je ne voulais pas m’alarmer, je ne voulais pas m’imaginer le pire… mais mon intuition parlait fort. La vétérinaire savait, mais la maman ne voulait pas voir.
Je suis une personne de nature assez positive. J’essaie toujours de voir le beau, de ne pas faire de suppositions, de rester ouverte à ce que la vie veut bien m’offrir. Mais cette fois-ci, il n’y avait pas de lumière. Il n’y avait pas de place pour les «peut-être que ce n’est rien. »Juste un grand frisson intérieur. Et ce jour-là, j’ai gardé pour moi.
Le lendemain, j’ai amené Westley au travail et j’ai fait des tests. J’ai dit à ma famille que je ne savais pas trop, que j’allais envoyer les radiographies à un spécialiste pour l’interprétation. Je voulais les protéger un peu, leur laisser un espace de normalité pendant quelques jours. Mais à l’intérieur de moi, quelque chose se serrait.
J’ai partagé mes doutes avec quelques collègues vétérinaires. Être rationnelle quand c’est notre chien… c’est impossible. J’ai aussi partagé cette inquiétude avec quelques membres de mon équipe. Et chaque fois que je mettais des mots sur ce qu’on traversait, les larmes montaient. Ça devenait de plus en plus réel.
Pendant quelques jours, je me suis levée, j’ai travaillé, j’ai continué ma vie… tout en portant cette boule dans la gorge et ce poids dans ma poitrine. Le silence me paraissait nécessaire, mais il était lourd.
Malgré l’absence de diagnostic officiel, j’ai fini par annoncer mes soupçons à mon amoureux d’abord, puis quelques jours plus tard à nos filles. Westley avait un cancer. Un vilain cancer. Il n’aurait pas une longue vie avec nous et il deviendrait probablement un petit modèle spécial à trois pattes.
Le choc. Les pleurs. L’incompréhension. Leur réaction a été aussi douce que déchirante : « Maman, on sait que tu es une bonne vétérinaire… mais on espère que tu te trompes. »
J’aurais tellement aimé leur dire oui.
J’aurais tellement aimé me tromper.
Le diagnostic : la science qui fait mal
J’ai fait pour mon chien ce que je fais pour mes clients : j’ai communiqué avec un spécialiste oncologue vétérinaire. Nous avons échangé de vétérinaire à vétérinaire, mais aussi d’oncologue à maman de chien. Quelle humanité dans sa façon d’expliquer les choses.
Nous avons établi un plan. Les premiers tests étaient rassurants; le bilan sanguin normal et les radiographies thoraciques normales. Le cancer ne semblait pas s’être disséminé ailleurs dans son corps.
La prochaine étape était le scan. Il permettrait de visualiser la masse dans l’espace, et de décider de la suite.
Le verdict est tombé : un sarcome malin, très invasif. Il avait déjà détruit presque la moitié de son omoplate. Et ensuite… des métastases aux poumons.
La vétérinaire comprenait ce que ça voulait dire.
La maman, elle, s’est effondrée.
Le pronostic : 3 à 6 mois. Il n’y avait plus rien à faire pour le sauver. Ce serait quelques mois d’amour, de présence et de douceur.
Le rôle double : vétérinaire et maman de famille
Être vétérinaire depuis 18 ans m’a appris à accompagner les familles dans des moments impossibles. Mais rien ne m’avait préparée à vivre « l’autre côté ».
Toute ma lucidité professionnelle ne servait plus vraiment. Je savais quoi dire, quoi faire, quoi expliquer… c’est mon travail. Mais rien ne pouvait apaiser le fait que c’était mon chien, mon Westley. L’impuissance prenait toute la place. Je ne pouvais rien pour lui.
Le soir où je suis revenue à la maison après une longue route, Westley encore endormi de sa sédation pour ses tests dans la voiture… la science a pris un pas de recul et a laissé sa place au cœur. Ma famille m’attendait.
D’un seul coup, la façade est tombée. Les larmes ont coulé sans que je puisse les retenir. Tous ont compris. On s’est assis ensemble. J’ai expliqué ce qui était, cette nouvelle réalité.
Leur sensibilité m’a bouleversée. Les larmes. Les câlins. Et puis cette phrase m’a surprise : « Maman, s’il faut, on ne fera pas notre voyage cet été. On prend tout cet argent et on va le sauver! »
Oufff! Quelle conscience. Quel amour inconditionnel.Si seulement l’argent pouvait le sauver. Cette maladie était plus forte que tout. Une seule chose me donnait un peu d’air : j’avais assuré Westley. Ça ne guérissait rien, mais ça retirait l’un des fardeaux. Il ne restait plus que l’amour à porter.
Ce soir-là, un cocon s’est formé autour de nous. Celui qu’on crée quand on sait qu’une période difficile commence. Nous traverserons cela ensemble.
Ce qu’il reste : du temps, de la présence et de l’amour
Après le choc, après les larmes, il reste la vie. Elle est fragile, précieuse, comptée… mais elle est encore bien là.
Nous savons que Westley vivra son dernier Noël avec nous. Nous ne savons pas s’il verra les premières pousses au printemps. Pour ce temps précieux, il y a tout ce qu’il aime encore : sa joie quand il met le nez dehors, sa grosse face qu’il pose sur nos genoux, ses vols de linges à vaisselle… Pour lui, tout est encore normal.
Alors, on savoure. On regarde autrement.
Nous essayons de ne pas trop analyser les symptômes qui s’ajoutent peu à peu.
Chaque matin devient un cadeau qu’on ne tient plus pour acquis.
Notre rôle maintenant, c’est simple et immense à la fois : minimiser sa douleur, et maximiser sa joie. Nous l’aimons encore plus fort, nous sommes encore plus présents.
Nous savons que tôt ou tard (en espérant le plus tard), il y aura cette décision où nous devrons lui offrir la paix. Ce geste, aussi déchirant soit-il, sera la dernière grande preuve d’amour.
La ligne entre vivre et souffrir en silence est fine, et je la connais bien comme vétérinaire.
Mais comme maman, cette ligne fait trembler tout mon être.
Ce jour viendra où nous devrons choisir pour lui, pas contre lui. Avec toute la douceur du monde. En attendant, il y a aujourd’hui, et plusieurs aujourd’hui. Il est bien là, et nous sommes son univers.
Ce que la vie m’enseigne à travers lui
Si l’amour et tous les messages de réconfort avaient le pouvoir de créer guérison, Westley serait déjà guéri. Mais l’amour ne contrôle pas la vie.
Et c’est peut-être là mon plus grand apprentissage : accepter que je ne contrôle pas tout. Accepter que je ne puisse ni aider, ni empêcher… seulement accompagner, aimer et être présente.
Alors on avance un jour à la fois. On savoure chaque regard, chaque petit moment de joie, chaque petite niaiserie. On marche ce chemin avec lui, doucement, tendrement.
Merci, Westley, de m’enseigner encore.
Merci pour ta lumière, ton amour inconditionnel.
Tu es et resteras l’un de nos plus grands cadeaux.
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